Petite réflexion personnelle sur mon rapport à l’argent, les dépenses et le plaisir que ça apporte.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai compris très tôt et très jeune que ce rapport pécunier pouvait être malsain.
De mes parents, mais surtout en observant ma mère et ses relations amicales et même familiales, j’ai pu assister à plusieurs drames et disputes au sujet de l’argent durant mon enfance.
Ce n’est pourtant qu’anecdotique et assez commun, je n’en avais certainement pas conscience à l’époque, mais aujourd’hui cela ne fait qu’ajouter une pierre de plus à l’édifice. J’ai également longtemps été coupé de la partie paternelle de la famille à cause d’une soit disant querelle au décès de mon grand-père pour son héritage. Je n’en saurais peut-être jamais le fin mot de l’histoire. Ma mère s’est également fâchée avec sa petite sœur qui avait fait faillite en reprenant un fond de commerce, et en laissant ma mère régler les factures impayées.
J’ai pu également voir le jeu de pouvoir que ma mère avait lorsqu’elle rentrait en Chine. Avec l’argent gagné en France, et le taux de change là-bas, elle pouvait se permettre des dépenses et des cadeaux à tout le monde, et ma mère n’a jamais su détecter les bonnes personnes des mauvaises autour d’elle. J’ai pu observer les regards et les interactions intéressées à son sujet, aussi parce qu’elle ne se gênait pas pour étaler sa richesse acquise. Je ne sais pas si elle le fait consciemment pour ensuite pouvoir jouer la martyre lorsqu’elle se faisait arnaquer, mais j’ai vu plusieurs fois le schéma se répéter. Puis ce jeu de pouvoir s’est également transposé en France, lorsqu’elle a pu prêter de grosses sommes d’argent pour permettre à certains de se lancer dans leurs projets commerciaux.
Aujourd’hui, je ne suis plus là pour être témoin de tout ce qui se trame, mais des retours que j’ai pu avoir de mon frère qui les côtoie encore régulièrement, ma mère se fait facilement manipuler pour investir dans des projets douteux. Il est pratiquement vain d’essayer de la raisonner.
Quant à mon père, il a eu des gros soucis d’addiction notamment au casino avec des énormes dettes à la clé.
En ayant été exposé à ce genre de scènes et d’histoires, je me suis toujours dit que je ne voulais pas subir ou vivre la même chose, et je me suis créé une sorte de protection pour ne pas être affecté par la valeur de l’argent, pour ne pas courir après ni que cela altère mon jugement. Tout ce qui peut s’y rapprocher, de près ou de loin, me fait peur : les jeux d’argent, les spéculations, etc. J’ai une réaction épidermique, un véritable rejet et j’évite tout ce qui peut s’y apparenter.
En dehors de ce passif, et d’un point de vue plus personnel, ma mère m’a souvent fait des reproches parce que je dépensais le peu d’argent de poche que je possédais, et même parfois de l’argent qu’elle mettait exprès à ma disposition et qu’elle m’incitait à dépenser. Je me suis déjà fait disputer à plusieurs reprises lorsque j’osais acheter quelque chose pour moi et qui n’était pas validé par ses soins. Ce qui m’a beaucoup perturbé durant l’enfance et l’adolescence, voire traumatisé au point d’avoir un réflexe de culpabilisation dès que je dépense le moindre centime me concernant.
Ce réflexe ne s’est pas vraiment atténué lorsque j’ai commencé à avoir l’âge adulte. Même lorsque j’ai commencé à faire des petits boulots et accumuler de maigres économies, j’ai toujours fait attention à mes dépenses et réfléchi plusieurs fois et parfois plusieurs jours avant de me décider à faire un achat.
Durant mes études à l’université, ma mère me rabâchais que mes frais de scolarité étaient du gâchis et que je perdais mon temps et son argent. Heureusement, j’ai pu quitter progressivement le foyer familial et commencer une vie de couple qui m’a permis de vivre dans un cadre plus sain. Je n’avais pas d’emploi et cela nous convenait parce qu’on avait un certain équilibre, j’essayais de compenser en effectuant les tâches ménagères. Le salaire unique suffisait à couvrir les dépenses du quotidien.
Je suis resté quelqu’un de très économe, pas du tout dépensier ou alors de manière assez ponctuelle pour des achats réfléchis.
Je ne gérais ni le budget ni les factures puisque l’argent ne venait pas de moi. Durant plus de 10 ans nous avons gardé ce fonctionnement et je n’ai jamais traité ce problème de fond alors que je n’osais même pas acheter de la papeterie, des porte-mines ou des feutres pour mes activités créatives comme le dessin. Cela me rendait presque malade de savoir que j’allais gâcher du papier. Durant mon enfance, je réutilisais mes anciens cahiers d’école, je décollais les feuilles du cahier pour pouvoir réutiliser le dos qui était vierge. Je garde encore des crayons qui datent de ma période élémentaire et j’ai aussi pu ramasser des crayons par terre dans une salle de classe pour pouvoir les réutiliser.
Il y a quelques années, j’ai fait une énorme dépression et je me suis rendu compte que ça n’allait vraiment pas. Etant devenu parent, j’étais en train de péter un câble parce que je trouvais que l’équilibre dans mon foyer était rompu. Je m’occupais de ma progéniture, de mon partenaire et du foyer, et je n’arrivais pas à vider mon vase parce que j’étais incapable de me faire plaisir. Ce n’était pas moi qui ramenait de quoi faire vivre et je ne me sentais absolument pas légitime à quémander quoi que ce soit. Durant toutes ces années, j’étais resté un enfant et je n’avais aucune idée de ce qu’était gérer un budget, ni comment dépenser de l’argent, et surtout pas pour moi.
J’arrivais à faire des courses pour remplir le frigo, et encore, en comparant les prix au kg des produits, mais impossible pour moi d’utiliser un salaire qui n’était pas le mien sans demander la permission. Et ce, malgré que l’intéressé me dise que l’argent était sur un compte commun, qu’il me répète de nombreuses fois que les économies m’appartenaient autant à moi qu’à lui. Je n’y arrivais pas, je culpabilisais et je n’osais pas. Ce sentiment de ne pas mériter était intense et persistant.
Aujourd’hui encore, j’ai du mal à faire des dépenses mais j’ai commencé à travailler là dessus. Tout d’abord, j’en ai conscience et c’est déjà un énorme pas en avant. J’y vais petit à petit, je commence à m’autoriser à manger au restaurant, même si c’est pour aider à écouler la carte restaurant de mon colocataire.
J’ai décidé de mettre fin à mon couple pour essayer de gagner en indépendance et actuellement je vis en colocation dans une petite maison. Mon colocataire me verse une petite somme chaque mois pour mon travail fourni pour les tâches ménagères. Ce n’est pas grand chose mais cela me permet d’essayer de mieux appréhender mes dépenses.
Je dois être honnête et avouer que j’ai un mode de vie assez précaire, c’est un choix personnel de ne pas chercher un emploi, pour différentes raisons. De mon anxiété et la peur de ne pas être capable d’une part, et d’avoir du temps pour pouvoir m’occuper de mon enfant d’autre part. Je suis conscient que c’est une forme d’insouciance, je profite de ces moments sans trop penser à l’après, je profite de l’instant présent. J’ai la chance d’avoir un colocataire de confiance qui m’accepte comme je suis.
Un jour, je devrais probablement changer de mode de vie, mais je préfère vivre ma meilleure vie tant que je le peux, parce que je ne sais pas de ce quoi sera fait demain.
Concernant les grosses dépenses, cela reste encore très compliqué pour moi, notamment les vacances. Cet été, les gens autour de moi parlaient de voyages, et moi je ne comprends pas encore très bien ce concept. Etant jeune, j’ai eu très peu l’occasion de partir en vacances, et le peu de fois que cela s’est produit, j’en ai tiré assez peu de bons souvenirs.
Adulte, j’ai eu l’occasion de faire quelques voyages mais cela restait des moments rares et pas une habitude à des périodes bien précises. Je crois qu’une partie de mon avis dubitatif vient du fait que je n’ai pas d’emploi et je ne ressens pas ce besoin de couper ou de changer d’air. Je suis quelqu’un d’assez casanier, je me contente d’assez peu et couplé à cela, ma réticence à faire d’énormes dépenses, cela me coupe rapidement l’envie de dégager un budget pour aller ailleurs pendant une période donnée. Je ne supporte pas non plus qu’on dépense de l’argent pour moi, cela peut me rendre littéralement malade, surtout lorsque je sais que je ne peux pas moi-même me le permettre financièrement. Cela peut partir de la meilleure des intentions, cela me rendra fou.
Le plaisir tiré de tout cet ensemble est complètement mitigé par mon sentiment de culpabilité et de ne pas mériter. Je n’arrive pas à profiter ni à en tirer du bonheur quand je sais le coût derrière.
Il est également vrai que lorsqu’on dégage un revenu de moins de 3000€ à l’année, cela rétréci le champ des possibles et l’affect du budget.
Le concept de partir en vacances me parle pas. Je ne comprends pas l’intérêt de faire plusieurs heures pour aller dans un autre endroit pendant plusieurs jours. Entre la fatigue du trajet, de faire ses valises, les défaire au retour… Je pense être mieux chez moi, au calme, dans mon cocon à profiter de la tranquillité et du temps libre à faire ce qui m’importe vraiment.
Il m’arrive de faire des voyages mais j’ai besoin d’avoir un but en particulier, l’envie de faire quelque chose à un endroit précis, ou une occasion qui se présente.
Ca m’a amené à me poser la question de ce qui me ferait plaisir et ce dont j’ai vraiment besoin.
J’arrive à prendre du plaisir dans les petits choses de la vie quotidienne, gratuites ou à bas prix. Les promotions, les bonnes affaires, des objets de seconde main.
On ne manque pas d’idées lorsqu’on est limité financièrement mais qu’on a un peu plus de temps pour chercher et trouver les petites perles.
J’habite près d’un quartier défavorisé et le centre culturel à proximité propose régulièrement des ateliers créatifs gratuits sur inscription. Je passe régulièrement à la bibliothèque pour emprunter des films, des bandes dessinées, des mangas.
J’ai un bout de jardin que j’expérimente, j’ai un stock de graines ramassées sur des bords de route, qu’on m’a donné ou que j’ai pu échanger autour de moi. Je multiplie des boutures de plantes que j’offre gracieusement.
Je fais énormément de récupération, je transforme des boîtes de thé et de biscuits, des bouts de bois, des cartons… C’est parfois pas concluant comme résultat, mais j’aime bien le processus.
J’accorde énormément d’importance aux échanges humains, et aux échanges de bons procédés, qui ont à mes yeux beaucoup plus de valeur.
J’ai pu observer autour de moi que pour certaines personnes, c’était salvateur de s’acheter quelque chose pour se remonter le moral, en cas de coup dur, que ce soit s’offrir sa nourriture favorite à la fin d’une dure journée ou s’acheter un objet spécial parce qu’on est heureux de pouvoir le posséder. C’est un mécanisme qui paraît évident et pourtant j’ai mis beaucoup de temps avant de m’en apercevoir et de l’intégrer.
Aujourd’hui, j’essaye d’apprendre à utiliser mon argent pour m’acheter des choses, pas seulement celles qui sont nécessaires, mais également qui peuvent me faire plaisir et que je trouve utile, même si c’est de la seconde main.
Je sais aussi que mon mode de vie convient à ma philosophie et que je n’ai pas à imiter les autres, ni à adopter des codes de la société qui ne me ressemblent pas.
Pendant très longtemps, je me sentais jugé parce que j’avais ce décalage de valeur et de rapport à l’argent. Je voyais bien qu’autour de moi on me regardait différemment et qu’on ne comprenait pas pourquoi j’en faisais tout un plat. Un jour, quelqu’un m’a dit qu’il avait remarqué ce trait que j’avais et que j’étais cohérent avec ma façon de voir les choses. Que je n’étais pas seul, qu’il connaissait au moins une autre personne dans ce cas et qu’il menait sa vie ainsi. Ca m’a fait réaliser que je n’avais pas à en avoir honte, ni me forcer à rentrer dans le moule qu’on attendait de moi. Je m’étais senti si seul pendant toutes ces années que ces mots ont eu sur moi un effet libérateur.
Si je préfère vivre de manière plus modeste, j’ai également le droit d’être heureux ainsi. Je ne force personne à me suivre, et j’apprécie les gens qui m’acceptent comme je suis.
Je suis conscient que c’est le résultat de beaucoup d’éléments de ma vie qui ont complètement déréglé mon cerveau sur pas mal de points, et en même temps je ne pense pas qu’il soit possible de le réparer. Le mieux que j’estime pour moi actuellement, c’est de faire en sorte d’être serein vis à vis de ma gestion de budget, de m’accepter dans mon état abîmé et d’y aller progressivement pour me rééduquer tout en respectant mes valeurs.
Et vous, quel est votre rapport à l’argent et au plaisir ?
Enfant, j’avais une grande culpabilité avec mes parents divorcés. Ma mère, avec qui j’avais décidé de vivre, avait toujours son compte en banque dans le rouge. J’en avais bien conscience, donc ce n’était pas fréquent du tout que je lui demande de dépenser des choses pour mon propre plaisir. Et puis, pour les fois où je demandais, ce n’était souvent pas dans les capacités financières de ma mère de toute façon.
Côté paternel, c’était tout l’inverse, la belle vie, l’argent à flots. Mais je n’arrivais pas à demander quoi que ce soit, ou à apprécier ce que l’argent lui permettait de faire. Exemple tout bête, s’il m’offrait une glace, je n’arrivais pas à l’apprécier et je tirais la tête. Lui de son côté, ne comprenait pas.
Aujourd’hui, je vis seul et d’un travail à temps partiel alimentaire. La vie est donc toujours aux petites économies. Je pense que mon enfance a fait que je dépense peu dans beaucoup de domaines. C’est sûrement ce qui rend aussi possible cette manière de vivre ? C’est un rythme de vie que j’ai choisi pour avoir du temps libre pour moi et pour les choses qui me plaisent vraiment : consommer de la culture et la partager de manière libre. Je sais que ma situation est incongrue pour beaucoup, et que beaucoup ne se verraient pas de vivre dans mes conditions. Je gagne plus que toi à l’année, clairement, mais je reste en dessous du seuil de pauvreté.
Ta situation reste très différente de la mienne, mais j’y trouve un dialogue qui me touche. J’apprécie notamment tous tes partages autour de la seconde main et de ces événements gratuits auxquels tu participes.
Pour le coup, je vais faire partie de ces personnes qui te donneraient raison de vivre ainsi tant que tu le peux.
Je comprends ce que tu as pu vivre avec ton père, et l’incompréhension de son côté. J’ai eu une situation similaire avec ma marraine qui souhaitait me faire plaisir en m’offrant des vêtements ou des choses, et j’arrivais pas à apprécier en voyant le prix sur les étiquettes, je tirais certainement une tronche comme pas possible par culpabilité, et elle, elle devait être dans cette même incompréhension en se demandant pourquoi je ne me réjouissais pas.
Je ne peux que te rejoindre sur ce choix de rythme de vie, pour avoir plus de temps libre à consacrer à des passions, des projets personnels, etc. Je sais qu’on est pas seul dans ce genre de situation, je connais quelques amis qui vivent d’un temps partiel par choix pour justement avoir le temps pour créer et vivre en dehors du travail.
Ca me touche également que tu me partages ton vécu et ton expérience, donc merci. Chacun a une histoire différente que je trouve très intéressante. Je pense qu’il est important de se poser la question de s’il est possible de vivre autrement, de vivre en accord avec ce qui nous convient le plus, notamment avec les possibilités de consommer autrement, la seconde main, les recycleries, les événements culturels gratuits mis à disposition par la commune, c’est très bien que cela reste accessible à tous, et pas seulement qu’à une partie aisée de la population. Je comprends qu’il est nécessaire de rémunérer des ateliers et des animations, c’est ce qui me rend encore plus reconnaissant de pouvoir participer à des ateliers totalement gratuits.
Je te souhaite plein de soutien dans ta manière de vivre, et beaucoup d’épanouissement.